mardi 10 août 2010

Christine

Il est venu un soir alors que moi je ne joue jamais. Il est venu me sortir de la maison pour me dire de jouer. Depuis que je suis mariée je ne joue pas. Je pensais avant que le mariage est un jeu. Non c’est un travail domestique. On se marie pour faire le ménage, la cuisine et le lit. J’ai appris à comprendre que le mariage est un travail domestique pas un jeu. Tous les soirs mon mari est au bar. Après le travail il passe son temps au bar en face d’une bière à raconter sa journée aux ivrognes. Et moi dans sa maison, je fais le ménage. Je ne joue pas avec mon ménage. Je jouais avec lui quand on était fiancés. Aujourd’hui c’est différent. Je regarde la télé. Ce n’est qu’à la télé qu’on voit des hommes qui causent  et jouent avec leurs femmes. C’est pour ça que je regarde la télé. Dans l’espoir que mon mari vienne me voir un jour comme les hommes qui sont dans les séries. Avant la tombée de la nuit. Voilà ma prière. Jouer avec moi. Me porter et me chanter un poème bien écrit. Mon mari est venu me voir avant la nuit pour me dire de lui donner six chiffres. Comme un jeu. Je lui ai dit que je n’avais pas six chiffres. Il a dit de lui donner au hasard six chiffres. Rien que six chiffres. Pour un jeu. Pas mon genre de jeu. Pendant sa sieste au bureau il a fait un rêve. Il a rêvé pendant sa sieste qu’il avait gagné le quinté avec les six chiffres que je lui ai donnés de ma main. N’importe quoi ! Je ne savais pas que mon mari dormait au bureau. Il a dormi au bureau jusqu’à rêver. Pour son jeu.
Quelle idée de croire à un rêve de sieste. Je n’ai jamais cru à cette idée de quinté. Le quinté obsède mon mari. Croire que les chevaux peuvent faire gagner de l’argent c’est une connerie. Et pourtant mon mari est venu me voir. Il m’a causé de son rêve comme les hommes qu’on voit à la télé. Il m’a tout expliqué pour que je comprenne. Je ne comprenais rien. Je le regardais se tuer à vouloir me convaincre. Pour la première fois je voyais mon mari déterminé. Pour le jeu. Sans que le soleil ne se couche. Pour la première fois depuis que je suis chez lui. Sans que le soleil ne se couche. Il voulait six chiffres. Pour le jeu. Rien que six chiffres pour aller valider son quinté. Pour les six chiffres, il est rentré chez lui avant la tombée de la nuit interrompre mon travail domestique. J’ai pris négligemment un papier et j’ai écrit dans le hasard de l’ordre la volonté de mon mari. Je n’ai pas mis de la volonté je vous jure. Juste le 13, le 4, le 11, le 6, le 7 et le 3. Six chiffres que j’ai donnés au hasard. Et le gars à gagné dans l’ordre. Il a validé mon hasard. Je ne comprends pas comment les gens peuvent faire gagner dans l’ordre, des chiffres donnés au hasard. Sans calcul.  J’ai donné à cet homme un ordre involontaire. Avec pression. Sa pression m’a fait choisir les chiffres de son bonheur. Il m’a convaincu.
Et il est parti. Quand les chevaux lui ont permis de toucher 27 millions, il s’est installé avec une autre femme. Loin de moi. Loin de la personne qui lui a donné au hasard avec amour l’ordre de l’ingratitude. J’ai commencé par le 13. Le 13 c’est le jour de la naissance de ma mère. Le 4 c’est le mien, le 11 c’est le jour de mon mariage, le 6 le jour de la naissance de mon premier fils, le 7 l’anniversaire de mon deuxième et le 3 c’est le jour de la naissance de ma fille chérie. Mes enfants ne le voient plus. A cause des chiffres que j’ai donnés. Ses enfants me demandent sans cesse où il est. Il est au pmu. Il vit son quinté dans les bras de la découverte. J’ai donné à mon mari ces chiffres que je n’oublie jamais. Au hasard. Sans préméditation. Et il m’a quittée pour une autre. Pour celle qu’il aime dans l’opulence. J’ai bradé les jours de naissance de mes enfants, de ma mère pour la rupture. Et Dieu a vu et m’a laissé faire.  Au plus profond de moi, j’ai sorti mes chiffres porte-bonheurs. Dans l’ordre. Pour mon malheur. Il n’est plus revenu. Est-ce qu’il va revenir ? Il ne va plus revenir. L’homme ne revient pas. Je ne crois pas qu’il revienne après un an déjà. Un an qu’il est sorti pour aller au pmu. A moins qu’il rêve encore des chiffres que je peux donner. S’il rêve il va revenir. L’homme revient s’il y voit de l’intérêt. Si dans ses siestes au bureau, il me voit en train de lui donner dans ma souffrance l’ordre d’un quinté gagnant, il va revenir. Avant le coucher du soleil. Avant la fin de la validation surtout.
S’il revient un jour pour d’autres chiffres, je vous jure que je lui donne n’importe quoi et dans le désordre. 

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