Ou la mendicité à double sens
Depuis une décennie dans l’environnement africain, un mal prend de
l’ampleur et gangrène le milieu artistique et culturel. Ce fardeau de la
médiocrité créative c’est le farottage. Dans toutes les manifestations de tout
ordre maintenant, on retrouve des gens qui se mettent en spectacle en collant
des billets de banque sur le front des artistes invités pour la circonstance et
ou ceux qui s’improvisent artistes pour profiter de cette exhibition des
valeurs. C’est le farotage.
Cette maladie des valeurs est née après les indépendances chez les
politiciens incompétents qui voulaient corrompre la population pour bénéficier
des éloges qui allaient jusqu’à les déifier. Les députés nommés par le
président de la république ou l’administration coloniale quittant les colonies allaient
dans des campagnes avec des valises d’argents pour que leurs soit organisés des
danses folkloriques et rassemblements de réjouissances où l’argent était
distribué par le porteur de la valise. C’était ça faire de la politique ! Ils
se levaient et jetaient des billets sur les danseurs et les chanteurs qui
rivalisaient d’adresse. Rien que pour montrer aux spectateurs curieux leur
générosité et leur bonté. Ils voulaient par cette utilisation égoïste de
l’argent de l’état construire une puissance et une renommée. Plusieurs caisses
noires de l’état étaient vidées de cette façon.
Au début des années 2000, ce qui était jusqu’alors l’apanage des
financements occultes est entré en mode avec le coupé-décalé. On a parlé du
« travaillement » (système instauré par Doug Saga où le musicien
jette de l’argent sur ses spectateurs pendant les concerts) et du farotage
(occasion pour les spectateurs de monter sur scène coller de l’argent sur
l’artiste) comme de nouvelles trouvailles pour l’épanouissement du show-biz. Les
discs joker se sont fait stars en compilant des mixages d’anciens tubes pour
faire des shows dans des boîtes de nuit ; les musiques de variétés sont
devenues des espaces d’appel au farotage et à une forme de défi des valeurs.
Tous ceux qui se sont autoproclamés stars allaient faire des Play back
ici et là attendant pour seul salaire l’appel au farotage qu’ils feront au
micro pendant leur tour de passage.
La musique a pris un coup de médiocrité ; chacun s’achète une
boîte à rythme et compose à l’emporte pièce des chansons dont la durée de vie
est parfois d’une semaine. Tout simplement pour avoir l’occasion d’être star
d’une soirée où sont présents des farotteurs. On donne le titre de « Papa »
à un enfant tout simplement pour le séduire et tirer de lui un maximum de
Farotage. La griotique du bas-vendre a corrompu le milieu artistique ;
plusieurs compositions dédiées à la première dame, plusieurs compositions dédiées
à des ministres, préfets, gouverneurs, délégués du Gouvernement etc. on chante
pour le parti au pouvoir, pour tel homme d’affaire et surtout sans soucis
esthétique ; tout simplement pour avoir le farotage de ces personnalités
qui non seulement sont content de cette façon de faire, mais font grandir dans
l’imagerie sociale une identité de mendiant qui caractérise désormais l’artiste
Africain.
Force est de constater que même le président de la république pour
lutter contre la pauvreté est allé farotter les habitant de Yaoundé lors de
l’inauguration du bois saint-Anastasie. On ne prévoit plus dans l’organisation
des cérémonies officielles un Cachet pour les artistes mais on demande aux
artistes de prester pour le farotage des autorités.
Même le Ministère de la culture favorise la mendicité des artistes en
ne réclamant pas la part des cachets dans le budget des manifestations
publiques. Le ministre farotte, dans les régions les gouverneurs farottent, les
préfets dans les départements farottent, les sous-préfets, les maires,… tous
gèrent de manière informelle et sans décharge des sommes d’argent qui pouvaient
aider à la restructuration et à la revalorisation de l’art et de l’artiste
Africain.
A qui profite le farottage ? Pas à l’artiste en tout cas. Pas à
l’art en générale. Pourquoi celui qui farotte ne met pas cet argent dans une
enveloppe pour le glisser à l’artiste à la fin de sa prestation ? Pourquoi
doit-il mette un à un la liasse de billet qu’il prétend donner à
l’artiste ? Pourquoi montre-t-il souvent la valeur du billet au public
avant de le jeter à l’artiste ? Pourquoi certains jettent-ils l’argent au
sol pour être content de voir l’artiste se courber pour ramasser ?
Celui qui farotte mendie auprès du public une popularité qu’il n’a pas
encore, ou encore exhibe les signes extérieurs de la richesse. Pendant que
l’artiste mendie une qualité frelatée d’un art qu’il maitrise de plus en plus
mal à cause la dégradation des valeurs accordées aujourd’hui à l’artistique et
aux créateurs.
J’ai assisté il y a trois ans sur la place parisienne à une grande
soirée Camerounaise où était invitée une icône de la musique Africaine des
années 70 Pierre Didi Tchakounté. Plus de six mille euro pour la location de la
salle, mille huit cent euro pour la sono. La fête était belle et le génie de la
sanza nous a porté pendant plus d’une heure en live dans les galaxies de la
musique africaine de valeur. Il a eu tout au long de sa prestation plus de deux
mille euro de farottage. C’était pour moi un concert de qualité où j’aurais
payé comme à cette soirée vingt euro sans me plaindre. Pourquoi pas le
double ? Tellement l’artiste était resté icône. Nous étions un peu plus de
mille quatre cents personnes dans cette salle. L’imprésario a vanté au micro le
mérité de l’organisation qui a fait venir ce grand nom de la musique.
Quand j’ai appris vers la fin de la soirée que le maître de la sanza
était parti sans prendre les cinquante euro qu’on lui avait promis comme cachet
pour la soirée, j’ai eu beaucoup de mépris pour les organisateurs et j’ai senti
me consumer la honte qui habite ceux qui ne savent pas le prix qu’on met dans
la valorisation du beau et des personnes qui ont œuvré à la construction d’une
tradition artistique.
Je n’aime pas le farottage.
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